René Jerva, août 1944 en vallée d'Aspe, Corps franc Pommiès

DocPictures/jerva2.jpg
Année : 1944
Source : René Jerva
2ème guerre mondiale

René Jerva s'est engagé tôt dans la résistance. Né à Vergt en Dordogne, il participa aux combats de libération de la vallée au sein du groupe de l'adjudant Charpiat du corps franc Pommies.
extrait de son témoignage dans Mémoire d'Aspe :

"Roger Jerva est né en 1920 à Vergt, en Dordogne, dans une famille qui tenait la boulangerie de ce village périgourdin. Après ses études, le jeune Jerva passe un examen d'entrée de dessinateur industriel aux usines Breguet de Mérignac. Il va être recruté mais doit, auparavant, être dégagé des obligations militaires. Il devance donc l'appel, s'engage en 1938 et se retrouve au 95e régiment d'infanterie de Bourges. Bon soldat, repéré pour ses qualités, il fait le peloton d'élève gradé et devient caporal-chef à 19 ans, responsable de l'utilisation d'une nouvelle arme anti-aérienne affectée au régiment. Il est encore sous les drapeaux lorsque la guerre est déclarée à l'Allemagne en septembre 1939. Il se trouve alors mobilisé d'office. Il est envoyé avec son régiment dans l'Est de la France où le 95e pénètre en Allemagne de quelques kilomètres dans le cadre de l'offensive française bien vite arrêtée.
En mai 1940, son régiment est à Samer, à côté de Boulogne, près de la frontière belge. Lui se trouve en permission en Dordogne lorsque l'offensive allemande éclate. Le temps de remonter pour retrouver son régiment qui est entré en Belgique et celui n'existe déjà plus : 280 morts, 300 blessés, le reste fait prisonnier ; il a été totalement décimé par l'attaque. Avec un autre soldat, le caporal-chef Talabot, ils échappent à la capture par l'armée allemande, se font fournir des vêtements civils par des amis et entreprennent de se rendre jusqu'à Paris à pied où, de là, Roger Jerva regagne sa Dordogne natale. Il se présente fin juillet 1940 au centre de regroupement des soldats isolés de Lalinde. Il est en septembre 1940 réincorporé dans un régiment du centre de la France puis finalement nommé au 18e régiment d'infanterie de Pau. C'est là que pendant deux ans, sous les ordres du capitaine Pommiès, il va former les nouvelles recrues, croisant régulièrement ce chef prestigieux.
Décembre 1942, l'armée allemande envahit la "zone libre". La caserne est fermée, le régiment dispersé mais le travail clandestin réalisé précédemment permet aux hommes d'entrer tout de suite en clandestinité. Après un passage sur Toulouse, Roger Jerva revient en 1943 sur Pau pour recruter parmi les réfractaires au STO. Fin 1943, taraudé par la peur d'être dénoncé, il obtient de rejoindre un maquis "dans la nature à Moncayolle, entre Mauléon et Navarrenx". Il y trouve une section commandée par l'adjudant-chef Charpiat, son ancien moniteur d'éducation physique au Hameau à Pau. Il est aussitôt chargé de la formation des jeunes recrues. Avec le débarquement de juin 1944, le corps franc Pommiès entre en lutte ouverte.

L'intervention en vallée d'Aspe
Le 22 août 1944, la compagnie Henry – à laquelle appartient la section Charpiat – apprend que la garnison allemande d'Oloron s'apprête à quitter la ville. Transportée sur des camions à gazogène, elle arrive sur les talons de l'ennemi.
Voici le témoignage de Roger Jerva : "Une colonne [allemande] de cent trente hommes se dirige vers l'Espagne par la vallée d'Aspe. Nous prenons position à la sortie d'Oloron. Les autres sections arrivent en renfort. Au petit matin [du 23 août] : Sarrance. Après un sérieux petit déjeuner à l'hôtel de Sarrance, les trois sections accompagnées d'un guide chacune, attaquent la montagne.
En ce qui nous concerne, nous traversons le gave d'Aspe et prenons un chemin de berger à mi-pente d'où nous dominons la route et voyons tout ce qui s'y passe. Une autre section progresse à droite de la route, dans les mêmes conditions que nous. La troisième est sur la route, avec la colonne allemande devant qui occupe Bedous. Nous voyons les officiers ennemis qui de leurs véhicules observent à la jumelle notre avancée.
Enfin dans l'après-midi nous coupons la route de Bedous à Aydius et nous prenons position sur les rochers qui dominent la route.
Le lendemain à l'aube [24 août] l'attaque commence. L'Allemand se défend avec acharnement. Perez est tué dès le début de l'action puis l'ennemi abandonne Bedous et se replie vers le col du Somport. Entre temps une autre compagnie du corps franc Pommiès arrive en renfort. L'enjeu est de taille, la colonne allemande comprend la Gestapo de Pau et d'Oloron, plus quelques "souris grises". Un commando passe par la montagne et surprend un groupe qui occupe le fort du Portalet, s'empare de deux mitrailleuses et prend la route en enfilade sous son tir." [Il s'agit en fait du groupe commandé par l'instituteur Dutech dirigeant un groupe de valléens appartenant eux à l'A.S. (Armée secréte) qui occupe le fort, tenu par cinq allemands, vers 16h le 24 août .] "La colonne allemande se présente devant le fort et se trouve bloquée par le tir des mitrailleuses avec des pertes importantes. A part la route, il reste le tunnel pour passer en Espagne, mais il est bloqué par un train de ravitaillement qui fera notre bonheur.
Les Allemands se rendent. Deux officiers de la Gestapo se suicident, un se tire une balle dans la tête, l'autre se jette d'un pont dans le gave. Toute la colonne est entre nos mains avec armes et bagages.
Dans la foulée notre section poursuit sa progression à pied vers le col du Somport où nous arrivons dans la soirée pour hisser le drapeau tricolore à la frontière espagnole. Pour la première fois depuis plus de quatre longues années, notre drapeau flotte fièrement au vent des Pyrénées."

Quelques semaines en vallée
"Notre mission consiste à empêcher toute fuite vers l'Espagne de militaires allemands, miliciens de Vichy et autres collaborateurs.
Pour abri, nous avons le grand hangar des Eaux et forêts, qui sert aux engins de déneigement de la route. Pour cette première nuit, nous n'avons rien de chaud pour nous protéger du froid à cette altitude, même au mois d'août. Dans la nuit, les hommes de garde entendent des pas sur la route. Ils font prisonniers deux douaniers allemands qui cherchaient à fuir en Espagne. Ils sont âgés. Ils nous serviront d'homme de peine pour préparer nos repas.
Avec les jumelles récupérées sur les douaniers, nous observons avec précision ce qui se passe dans notre secteur. C'est ainsi que je vois souvent, côté Espagne, une silhouette noire qui regarde ce que nous faisons. Je me rapproche et un prêtre vient à ma rencontre. Je porte une chemisette kaki avec le col ouvert et autour du cou une chaîne et sa médaille. Le prêtre me dit "mais vous n'êtes pas communiste". Je lui explique qu nous appartenons à l'ORA [Organisation de résistance de l'Armée] et que notre seul but est de chasser l'occupant du sol français, de retrouver la liberté, et que, en tant que militaires, nous ne faisons pas de politique. Nous parlons longuement de choses et d'autres. Le lendemain arrive le chef de poste espagnol. Il m'explique que démuni de tout, il désirait couper des branchages pour améliorer le couchage de ses hommes ! Je lui en donne l'autorisation et pendant tout notre séjour nous entretenons de bonnes relations."

Le retour sur Bedous
"Nous sommes relevés et logeons chez l'habitant à Bedous. J'ai une chambre à l'hôtel. Je poursuis l'instruction des hommes et la section prend bonne tournure en vue de l'inspection du chef Pommiès car nous n'avons pas voulu encore récupérer nos galons réguliers. La prise d'armes a lieu à Bedous. C'est une réussite. J'ai le plaisir de revoir ce chef prestigieux que je rencontrais à la caserne Bernadotte chaque jour.
Je ne fume pas et d'un seul coup je perçois trente paquets de cigarettes. J'apprends qu'à Bedous, un berger nommé Guerre, fume beaucoup et il en manque. Devant cette manne, il ouvre de grands yeux et j'hérite de deux énormes tommes de fromage de brebis. Une aubaine pour la famille, au moment où nous manquons de tout et surtout pour mon épouse qui doit manger pour deux .
Mon épouse et mon petit garçon viennent passer quelques jours avec moi. Des moments de bonheur dans cette époque si troublée, pourtant ce n'est pas une mince affaire pour venir de Pau à Bedous avec les ponts détruits sur la voie ferrée".
Roger Jerva continuera le conflit jusqu'au défilé de la victoire à Berlin et sera également blessé dans les Vosges. Engagé en Indochine, il finira par quitter l'armée pour entrer dans l'industrie pharmaceutique chez Sarget où il mettra au point le système des visiteurs médicaux et contribuera à introduire certains produits courants aujourd'hui comme la Bétadine. Il est décédé en 2017 à Orthez où il résidait avec son épouse. Roger Jerva était chevalier de la Légion d'honneur, titulaire, entre autres décorations, de la médaille militaire, croix de guerre 39-45, croix du combattant, croix du combattant volontaire 39-45, croix du combattant volontaire de la Résistance, Médaille de la France libérée, croix de guerre T.O.E., médaille d'honneur du Mérite Vietnamien."

Un commentaire, une remarque, une précision sur cette photographie...