Buste d'Edmond Richardin

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Année : vers 1900
Source : doc. famille Estagnasié, Lées-Athas
Montagne Portraits d'habitants de la vallée

Edmond Richardin est un Lorrain. Il est né le 26 octobre 1846 à Vaucouleurs (Meuse) , petite ville située à une douzaine de kilomètres au nord de Domrémy, le village natal de Jeanne d’Arc . (C’est d’ailleurs à Vaucouleurs que la future héroïne du royaume de France débuta son épopée. Elle y vint chercher appui et escorte de la part du seigneur du lieu afin de se rendre auprès de Charles VII en 1429). Edmond Richardin est le fils d’un couple de marchands de Vaucouleurs, Antoine Marie Richardin et Catherine Rose Pinot. Probablement grâce à l’aisance financière de sa famille, il a pu faire des études convenables et entrer dans le métier de libraire-éditeur. On le retrouve dans les années 1880 salarié de la maison Dentu à Paris. Cette célèbre librairie – installée place du Palais Royal depuis le XVIIIe siècle dans les fameuses galeries en bois qui longeaient les arcades de la place – est une référence dans le monde du livre et de l’édition de l’époque. Au XIXe siècle, l’affaire, mal en point, a été reprise par Henri-Justin Edouard Dentu (1830-1884), petit-fils du fondateur, surnommé parfois le « gros Dentu ». C’est avec ce personnage haut en couleur que va travailler Richardin. La maison Dentu sous le Second Empire se lance à corps perdu dans l’édition. Elle publie des pamphlets religieux, politiques, devient en quelque sorte « libraire officiel des gens de lettres » et publie aussi bien Charles de Montalembert, Alfred de Falloux qu’Edgard Quinet, Louis Blanc ou Pierre-Joseph Proudhon. Dentu se lance également dans la littérature populaire et publie Paul Féval, Ponson du Terrail, Hector Malot… Le jeune Richardin travaille au milieu de ces écrivains et hommes politiques, noue des relations amicales avec certains. La mort brutale d’Henri-Justin Edouard Dentu n’arrête pas le fonctionnement de la maison d’édition. En 1888, elle crée le journal l’Echo de la Semaine littéraire et politique dont Richardin devient l’administrateur-gérant de 1890 à 1892. Il s’agit d’une revue populaire illustrée paraissant le dimanche et coûtant 15 centimes le numéro. Le rédacteur en chef est Victor Tissot. Le journal sera édité de 1888 à 1901 par Dentu puis repris, à la faillite de la maison en 1895, par Fayard. De grands noms participent à sa rédaction : Alphonse Allais, François Coppée, Alphonse Daudet, Gustave Droz, Alexandre Dumas, Camille Flammarion, Anatole France, Edmond de Goncourt….
C’est à cette époque qu’Edmond Richardin, qui réside rue de la Pompe à Paris, se lie d’amitié avec le poète François Coppée et, surtout, avec Gustave Geoffroy, journaliste, critique d'art, historien et romancier français, l'un des dix membres fondateurs de l'Académie Goncourt dont il assura aussi la présidence, ami personnel et très proche de Clemenceau ainsi que de Paul Cézanne qui réalisera un portait de lui (fig 2). Bon vivant, fréquentant salons célèbres et restaurants gastronomiques réputés, Edmond Richardin est l’une des nombreuses personnalités du monde culturel parisien de l’époque. Il se dit donc éditeur mais ne néglige pas l’écriture et reste attaché à sa Lorraine d’origine et crée avec l’académicien André Theuriet, l’association La Meuse. En 1893, il publie aussi aux éditions Dentu Jeanne d’Arc, sa mission, son culte, préfacé par monseigneur Pagis, évêque de Verdun (ouvrage réédité en 2012) puis en 1914 La géographie des gourmets au Pays de France pour le Touring club de France. Il aurait rédigé quelques articles dans l’Est républicain, journal fondé à Nancy en 1889. En 1912, il devient administrateur de l’ « Agence générale de Librairie et de publications » qui succède aux éditions Nilsson et dont Hachette devient l’actionnaire principal en 1914.
Mais la grande œuvre de Richardin, c’est la direction et la publication d’un énorme ouvrage de 900 pages, La Cuisine française du XIVe au XXe siècle. L’art du bien manger. 1600 recettes simples et faciles, édité en 1901 chez Nilsson, l’éditeur pour qui il travaille mais qui est aussi celui de son ami très proche Gustave Geoffroy (qui participe d’ailleurs à la rédaction du livre comme l’académicien Theuriet qui en rédige la préface). La publication connaît un très grand succès. Pour une fois, on s’intéresse à la cuisine des régions, à la cuisine populaire. Ce livre en constitue la première grande compilation. Rapidement épuisé, il sera réédité à quatre reprises, Richardin et ses collègues ajoutant des recettes et différents commentaires pour finalement porter le nombre des recettes présentées à 2000 en 1913. Mais cet ouvrage n’est pas seulement un livre de cuisine, c’est aussi une série de textes qui relatent les excursions de Richardin et de ses amis, notamment dans les Pyrénées. Car depuis 1892, Edmond Richardin est devenu un adepte du pyrénéisme, des cures dans des établissements spécialisés, des longues marches et excursions en montagne : « Ce n’est pas seulement l’attrait des succulences de table qui, chaque année, me ramène vers ces Pyrénées enchanteresses : je viens y chercher également les plaisirs plus sains des longues randonnées à travers les montagnes fleuries, les jouissances plus émouvantes et plus durables des splendeurs entrevues des sommets. Ma vocation de montagnard remonte à 1892. C’était au mois d’août, je faisais une cure aux Eaux-Bonnes, et, mon ami L. Preller, alpiniste passionné, m’avait invité à me joindre aux camarades, François Coppée, Paul Guigouet, Jaymes de Séguier, qu’il conduisait aux mines d’Ar [Arre] en compagnie de l’ingénieur de l’exploitation, M. Braly. Au jour naissant, nous partions de la villa « Excelsior », l’accueillant asile, si cher aux grimpeurs de cimes. La route tortueuse, qui monte vers le pays des enchantements, nous conduisit à Gourette. C’est là que, pour la première fois, je pris contact avec la montagne.»
Mais Richardin avait-il attendu 1892 pour découvrir les Pyrénées et plus particulièrement la vallée d’Aspe ? Qui d’autre que ses amis a pu l’avoir incité à venir découvrir les vallées pyrénéennes béarnaises ? La réponse est peut-être à trouver dans le mariage d’Edmond Richardin avec Marie-Geneviève Jeanne Julia Arrigas, à Paris, en février 1890. Le nom de la jeune épouse est évidemment une première indication sur l’origine potentielle de sa famille, l’anthroponyme étant très courant dans le vallon de Bedous, notamment à Lées-Athas et à Osse. Une recherche dans l’Etat Civil parisien permet de savoir qu’elle est née le 16 avril 1860 dans le VIIe arrondissement de la capitale. Elle est la fille d’un dénommé Jean Arrigas, ancien militaire qui a participé aux campagnes en Algérie, en Crimée puis contre l’Allemagne et la Commune avant de prendre sa retraite à Paris en 1875. Cet ancien officier d’administration avait épousé, le 18 septembre 1857, Catherine Thérèse Telhiard. Deux enfants sont nés au moins de cette union : un garçon et une fille (Julia). Au mariage d’Edmond Richardin et de Julia Arrigas le 24 février 1890, en l’église Saint-Pierre de Chaillot dans le XVIe arrondissement de Paris, Jean Arrigas n’est pas présent étant décédé deux ans plus tôt, le 14 décembre 1888, en son domicile du boulevard Latour-Maubourg à Paris. Ce fils de berger avait 74 ans. Il était né le 12 septembre 1814 à Lées-Athas, fils de Jérôme Arrigas et de Geneviève Loustaunou-Alaman. Engagé dans l’armée, il avait quitté très tôt la vallée d’Aspe mais avait gardé des liens très étroits avec son frère, resté au pays pour s’occuper de la ferme familiale. Son décès est signalé dans la Revue de Béarn, de Navarre et des Lannes (1888, p 492) où l’on précise : « officier principal d’administration en retraite ; officier de la Légion d’honneur et du Medjidié ; chevalier des saint-Maurice et Lazare ; Béarnais excellent dont l’hospitalière maison était celle de tous les jeunes compatriotes de passage ou de séjour à Paris. »
C’est donc probablement par l’intermédiaire de sa belle-famille que le Lorrain Edmond Richardin a établi ses premiers contacts avec des Béarnais et probablement aussi avec la vallée d’Aspe. Quelques années plus tard, il achète à Lées-Athas la maison Casamayou (aujourd’hui Estagnasié) située dans le bourg de Lées, à moins d’une centaine de mètres de l’église. Cette superbe maison lui servira de point de départ pour toutes les excursions qu’il organise pour ses amis, entre 1903 et 1913, et dont il fait le récit dans son ouvrage sur l’art du bien manger. Ses guides sont des habitants de Lées : François Supervie et Jacques Estagnasié. Au cours de ses ascensions, il croise des bergers chevronnés, comme J Ayaïs et B Arratteig-Matheou, ou de plus jeunes, comme J. Dengui et J. Claveranne en septembre 1910, une jeunesse qui sera fauchée quatre ans plus tard sur le plateau de Craonne et en Champagne. Il fréquente aussi Edmond (1868-1948) et Gustave Cadier (1864-1948), frères d’Alfred, le pasteur d’Osse, lui-même père des « cinq frères ». Plus étonnant, il mentionne plusieurs fois une guide, conductrice de mules, Louise Bitaine, dont nous n’avons pu à ce jour retrouver trace dans les mémoires. Parfois, Richardin se fait transporter à Lescun (1913) par le voiturier Pierre Moulia, de Lées lui-aussi, un ami proche des Cadier (mort à l’hôpital militaire de Beffort en mars 1917). Avec ses amis, ils font des haltes redoutables à l’auberge Carrafancq de Lescun. En voici un extrait qui se passe de commentaires ! « Nous grimpons le dernier raidillon proche du village ; bientôt souliers et bâtons ferrés heurtent le sol hospitalier de l’auberge Carrafancq, où l’accorte hôtelière nous accueille avec sa bonne grâce coutumière. Nous sommes affamés ! Les reliefs du déjeuner ne seraient qu’un mince palliatif à notre appétit de montagnards ; aussi, sera-ce parmi les abondantes provisions de la réserve que la sollicitude entendue de notre hôtesse cherchera le menu réparateur. Pendant que se prépare le dîner, nous errons par les rues tortueuses du village déjà plein de silence ; seuls, au loin, les cascades et les gaves tumultueux, qui bondissent des rochers en une effroyable chute au profond des gouffres, clament leur éternel courroux dans le grand repos de la terre endormie… La lune s’élève lentement au-dessus du massif d’Aspe, dans la voie sereine de l’infini endiamantée du scintillement des étoiles… C’est le Triomphe de la Nuit ! L’heure nous ramène au logis. Nous nous installons autour de la table recouverte d’une nappe blanche, fleurant l’âpre senteur des lessives campagnardes. Flacons de vin blanc et rouge, vaisselle de faïence pittoresque, couverts reluisants, tout est en bon ordre. Nous attendons impatients, l’eau à la bouche, la soupe qui tarde à venir : la voici ! Ce fut un moment inoubliable, que celui où cette garbure fumante apparut devant nous ! Du bouillon parsemé de cerfeuil haché, émergeaient les légumes pleins de l’arôme des confits ; à cette onctueuse purée succédèrent des cuisses d’oies garnies de petits pois frais cueillis ; puis vinrent des truites frites entourées de persil, un plat de cèpes gras et dodus comme des moines et, enfin, un joli petit marcassin de lait, le groin en trompette, mets rarissime, tout ruisselant du jus des lèchefrites ; une génoise soufflée, spécialité fameuse de l’hôtel Carrafancq, ouvrit la série des desserts qu’un petit verre de Marie Brizard clôtura peu après. Le besoin de repos se faisait sentir ; nous devions en effet partir avant le jour pour une course longue et rude : l’ascension du Pic d’Anie avec retour par les contreforts de la Punta de los Reyes en territoire espagnol, le val et le lac de Lhurs. Le guide Supervie et le porteur avaient tout préparé, le départ eut lieu vers trois heures, par une admirable fin de nuit dans un ciel lumineux, plein de magnificence. »
Avec la guerre qui débute en août 1914, Edmond Richardin, dont la ville natale, Vaucouleurs, se trouve à 3 km du front durant tout le conflit, s’occupe de faire éditer deux revues patriotiques. La première s’adresse aux jeunes garçons et s’intitule « Les Trois couleurs ». Elle traite de la guerre quasiment sous la forme de bande dessinée ou de petites histoires ou contes. La seconde est créée en 1915 sous l’appellation « Sur le front ». C’est un petit journal de 5 pages uniquement constitué de photographies de guerre.
C’est à l’occasion d’un séjour thermal qu’il effectue à Bagnères-de-Bigorre qu’Edmond Richardin meurt, brutalement, le 10 août 1917. Le journal Le Gaulois littéraire et politique publie le 2 septembre 1917 une courte notice nécrologique : « Nous apprenons la mort de M. Edmond Richardin, décédé à Bagnères-de-Bigorre, après une courte maladie… M. Richardin était un sincère ami des livres. Né à Vaucouleurs, il était resté un fervent Lorrain, et il avait fondé, avec André Theuriet, la Société La Meuse, dont il fut vice-président. Il était l’auteur de l’Art du bien manger, ouvrage auquel il a su faire collaborer les notabilités de son temps ; d’un livre sur Jeanne d’Arc, d’une plaquette sur les Pyrénées, etc. D’un commerce fort agréable, causeur averti et disert, très obligeant, toujours prêt à se multiplier pour rendre service, il laisse d’unanimes regrets dans le monde des lettres, où il ne comptait que des amis. » Son épouse Julia Arrigas est quant à elle décédée à Paris en décembre 1930.

D. Barraud

Commentaire d'un internaute :

jeudi 9 novembre 2023 à 12:59 par : Jean-Luc Bilhou-Nabéra

Edmond Richardin et son épouse accueillirent et chaperonnèrent à Paris ma grand-mère, Gracieuse Priat-Peyré originaire d'Osse-en-Aspe quand elle vint y étudier entre 1907 et 1912. Il avait aidé à la construction et au financement du refuge de L' Abérouat http://aberouat.fr/ vers le pic d'Anie qui construisit mon arrière-grand-père, Jacques Priat-Peyré.

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